Etonner la catastrophe

En mai 2023, nous avons organisé, avec la complicité de Nicolas Haeringer, une journée de formation intitulée « Etonner la catastrophe ». Notre intention : outiller des groupes engagés sur les enjeux de justice sociale et environnementale sur leur méthode d’analyse du contexte, leur stratégie et la dynamique collective. Nous partageons ici quelques outils d’animation tirés de cette journée pour engager le débat au sein d’un groupe et d’un collectif en mode « étonnons la catastrophe ! ».

Quelques textes inspirants pour démarrer

"Tenter, braver, persister, persévérer (...), prendre corps à corps le destin, étonner la catastrophe par le peu de peur qu'elle nous fait, tantôt affronter la puissance injuste, tantôt insulter la victoire ivre, tenir bon, tenir tête ; voilà l'exemple dont les peuples ont besoin, et la lumière qui les éléctrise" Victor Hugo, Les misérables

"Aime et ne désespère pas A ces démons d'inimitié, Oppose ta douceur sereine, Et reverse-leur en pitié tout ce qu'ils t'ont vomi de haine. La haine, c'est l'hiver du coeur. Plains-les ! Mais garde ton courage. Garde ton sourire vainqueur". (Victor Hugo)

"Ces hommes, nés au début de la première guerre mondiale, qui ont eu vingt ans au moment où s'installaient à la fois le pouvoir hitlérien et les premiers procès révolutionnaires ont été confrontés ensuite, pour parfaire leur éducation, à la guerre d’Espagne, à la deuxième guerre mondiale, à l'univers concentrationnaire, à l'Europe de la torture et des prisons, doivent aujourd’hui élever leurs fils et leurs oeuvres dans un monde menacé de destruction nucléaire. Personne, je suppose, ne peut leur demander d'être optimistes. Et je suis même d'avis que nous devons comprendre, sans cesser de lutter contre eux, l'erreur de ceux qui, par une surenchère de désespoir, ont revendiqué le droit au déshonneur, et se sont rués dans les nihilismes de l'époque. Mais il reste que la plupart d'entre nous, dans mon pays et en Europe, ont refusé ce nihilisme et se sont mis à la recherche d'une légitimité. Il leur a fallu se forger un art de vivre par temps de catastrophe, pour naître une seconde fois, et lutter ensuite, à visage découvert, contre l'instinct de mort à l'oeuvre dans notre histoire" Albert Camus (Discours de Suède, 1957)

Partir des forces de chacun 

Et vous, c'est quoi votre super-pouvoir ? Une idée pour se présenter ou constituer des équipes dans un projet

Super-calme, Super-rassembleur, Super-pont, Super-Impulse, Super grandes oreilles, Super-accueil, Super-poulpe, Super- tenace, Super-lien, Super-détails, Super-optimiste, Wonder sensible…

On peut le jouer en équipe en attribuant un super-pouvoir à une équipe, s’en servir pour se donner des rôles dans l’action, etc… à vous d’inventer vos règles du jeu en fonction de votre intention.

Baromètre collectif 

Êtes-vous confiant ou paniqué face à la catastrophe ? Vous sentez-vous impuissant ou avec du pouvoir pour faire face ?

Positionnement dans l'espace sur deux axes perpendiculaires selon que vous vous sentez : + ou - confiant ou paniqué / + ou - avec du pouvoir ou impuissants face au dérèglement climatique, l’aggravation des inégalités, la montée du fascisme… (au choix !) : debout dans une salle avec les 2 axes matérialisés au sol

Chacun prend le temps de se positionner. Puis, explications de chacun au reste du groupe et mise en discussion avec des questions à cibler en fonction de vos intentions.

 

Pourquoi est-il important de garder l'espoir et d'identifier et pousser des signaux faibles de changement ?

Καταστροφὴ, retour, tournure, issue, de ϰατὰ, sur, et στροφὴ, tour.

La catastrophe est le plus souvent synonyme de "renversement", de "dénouement", voir de "coup de théâtre". Elle décrit un mouvement vers le bas, aux effets souvent dommageable, durables, intenses, d'origine humaine ou naturelle. Il s'agit d'une fracture de la continuité et du confort acquis. Dans le théâtre grec, la catastrophe était la dernière des cinq parties de la tragédie le dénouement où le héros recevait sa punition, généralement funeste (catharsis). Les catastrophes sont aussi des inflexions du monde, des occasions de formuler des "plus jamais ça", la création de nouvelles normes.

Nous vivons une période où des points de bascule sont franchis, qui nous mènent à la catastrophe. Sur le plan climatique, ils sont faciles à mesurer, sur le plan social on sait moins faire.

Il existe également des signaux faibles : il se passe des choses qui pourraient faire bifurquer le monde, qui pourrait ouvrir d'autres actes et non pas terminer la pièce de théâtre que nous jouons tous, mais qui sont insuffisants, qui sont de l'ordre de la perception, dont on ne mesure pas les effets. De petites causes peuvent avoir de grands effets ! La recherche des signaux faibles est une manière de s’intéresser autrement aux catastrophes, de chercher les points aveugles, les angles de biais, les lueurs et espoirs, les avancées. Percevoir ces signaux faibles est important pour inventer un récit qui les fasse grandir, et devenir puissants.

On peut aussi se poser la question du manque pour faire sens : et si nos organisations ou nos actions n'existaient pas quel serait la situation ?

"Il est toujours trop tôt pour rentrer chez soi" disait Rebecca Solnit, soulignant ainsi qu’on ne peut jamais prévoir quels seront les effets d’une mobilisation & quand ils se feront apparents.

Exercice d’émergence et d’analyse en groupe 

Et vous, dans votre groupe, quels sont les signaux faibles que vous percevez et qui peuvent être des leviers de changement ?

S’entraîner avec le corps : L’ Appel de la liberté

Un exercice du théâtre de l'opprimé qui nous entraîne à nous affirmer, à sortir d'une zone de confort, à résister aux petites et aux grandes oppressions...

Le groupe se répartit en deux cercles concentriques. Chaque personne du cercle intérieur a une personne positionnée juste debout derrière elle – dans le cercle extérieur (sans contact). Une personne est au centre du cercle, c’est la liberté. « La liberté » peut, en faisant un clin d’œil, appeler les personnes du premier cercle à la rejoindre au centre. Les personnes du second cercle doivent « protéger à tout prix » la personne devant eux de cet appel de la liberté. Elle doivent les retenir par tous les moyens quand un clin d’œil leur est fait  – en gardant au démarrage une position les bras le long du corps -. Si une personne réussit à atteindre le centre, elle prend la place de « la liberté ». La personne qui était au second rang s’avance dans le premier cercle. La personne qui était au centre rejoint le second  cercle. Et le jeu continue.

Le principe est de « jouer » et ensuite de discuter du ressenti de chacun et des liens que l’on peut faire avec des situations réelles.


Une image inspirante : la murmuration des oiseaux

On appelle murmuration, un nuage d'oiseaux, où des centaines d'individus décrivent ensemble de larges mouvements dans le ciel.


Bonus : une vidéo incroyable de murmuration : https://www.youtube.com/watch?v=m6YDhVeW5K


Quelques références pour aller plus loin

- Rebecca Solnit, Garder l’espoir, autres histoires, autres possibles, Actes Sud

- Nicolas Haeringer, Occupy Wall Street : un mouvement plus proche du début que de sa fin ! Par Nicolas Haeringer, https://mouvements.info/ows-reponsefrank/

- Attac, Pour la justice climatique, stratégies en mouvement, Les Liens qui Libèrent, 2021

- Maria J. Stephan et Erica Chenoweth, Le pouvoir de la non-violence : pourquoi la résistance civile est efficace, Calmann Lévy, 2021

- Doug McAdam, Freedom Summer, Luttes pour les droits civiques, Mississippi 1964, Agone, 2012

- Julien Talpin, Community organizing: De l'émeute à l'alliance des classes populaires aux Etats-Unis, Raisons d’Agir, 2016

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