L'oiseau de vértié

Une de ses versions a été transmise par Dorothea Viehmann dans les années 1810 aux frères Grimm qui l'ont transcrit. Une autre version, recueillie en 1951 par le docteur Dominique Gauthier, auprès de Madame Pierrot Haché, 73 ans, de Shippagan en Acadie, a été déposée aux Archives de folklore de l’Université Laval à Québec, puis transcrite par Gilles Vigneault, puis reprise par Vivian Labrie et adapté par Aequitaz ...


Il était une fois un roi qui avait trois garçons. Le premier s'appelait le Boulanger, le second le Boucher, le troisième le Prince. Un jour, le Prince part à la chasse dans le bois et marche tout l'avant-midi. Vers midi, il voit une petite fumée dans les arbres. Il se dit :

– Y a quelque chose. Allons voir.

Quand il arrive, y avait une petite maisonnette. Timide, il n'ose pas frapper et regarde par la serrure. Il y avait trois princesses. Il se dit :

– Je m'en retourne et vais en parler à mes frères !

Il s'en retourne. On lui demande :

– Alors ? T’as rien chassé ?

–J'ai trouvé une maisonnette avec trois princesses dedans. On pourrait aller les voir ?

Le lendemain matin, ils vont dans le bois. Ils rencontrent les princesses et prennent le temps de faire connaissance tant et si bien que des couples se forment. Et quelques mois plus tard, on célèbre trois mariages au château.

--

Au bout d'un an, la femme du Prince accouche d’un petit garçon. Les femmes du Boulanger et du Boucher n’en n’avaient pas. Elles sont prises de jalousie contre leur sœur et décident de lui jouer un mauvais tour. Un jour, le Prince dit à sa femme :

– Allons faire un tour en ville !

– Oh ! elle dit, j'aime pas y aller. J’aime mieux ma maison.

– Mais, ma douce, voilà assez longtemps que t'es à la maison. On va y aller, ça nous fera du bien. Couche ton bébé et tout va bien se passer.

Elle finit par céder et s'en va en ville prendre du bon temps avec son mari. Ses deux sœurs décident alors de passer à l'action. Elles prennent le bébé et le mettent dans un panier à voguer sur la rivière. Et à la place de l'enfant, elles mettent un chiot dans le berceau. En contrebas de la rivière, de l'autre côté d'une forêt, un vieux péchait la truite. Il voit ce panier et découvre l'enfant. Il le ramène chez lui et le montre à sa femme. Tous deux n'avaient jamais réussi à avoir d'enfant. Cet enfant sauvé des eaux comme Moïse, ils décident de l'élever avec amour dans leur pauvre maisonnette.

Pendant ce temps, le Prince rentre avec sa femme qui court vers le berceau. A la vue du chiot, elle jette un cri de mort !

- Où est mon enfant ?

Son mari essaye de la calmer et de la rassurer.

- C'est incompréhensible mais ça doit arriver. Calme-toi. C'est arrivé et on n'y fera rien.

Le temps fait son œuvre et la tristesse insondable finit par s'affadir. Un an plus tard, elle accouche d'une petite fille. Ses deux sœurs étaient non seulement jalouses mais encore acariâtre car elles n'avaient toujours pas réussi à avoir d'enfant. Quelques temps plus tard, le Prince dit à sa femme :

- On va aller faire un tour en ville.

Elle refuse.

- Non. Je sais ce qui m'est arrivé l'année dernière. Je ne veux pas quitter mon bébé.

Mais il insiste. Ce n'est pas toujours la fête. Il faut prendre soin de soi. Cela n'arrive qu'une fois. Et elle finit par céder. Elle laisse son enfant dans le berceau, demande aux gens du château d'en prendre bien soin, la laisse s'endormir dans des couvertures. Et s'en va en ville avec son mari. Les deux sœurs en profitent à nouveau pour enlever l'enfant et le jeter dans la rivière dans un panier. A la place, elles déposent dans le berceau un petit chaton.

Le vieux était encore en train de pêcher. Il recueille la petite fille et l'amène à sa femme. Tous deux entourent ces enfants de leur amour. Pendant ce temps, le Prince et sa femme rentrent de la fête. Elle court. Un chat à la place de l'enfant. Elle jette un cri de mort. Elle commence à se douter que ses sœurs pourraient lui faire un mauvais coup mais n'ose pas en parler. Son mari se fâche.

– J'espère que ça ne t'arrivera plus. Cela ne se fait pas qu'un enfant se transforme en animal !

– Mais, ce n'est pas de ma faute...

Un an plus tard, la femme du Prince a encore un garçon. Ses sœurs sont jalouses, acariâtres et aigries. Mais le Prince a nouveau se met à tanner sa femme pour sortir avec elle. Elle refuse longuement mais on ne peut rester éternellement avec son enfant, et elle finit par céder par amour pour son mari. Elle couvre son enfant dans le berceau, demande et répète sa demande de prendre soin de son enfant. Puis s'en va. Dès qu'elle a claqué la porte, l'une des sœurs fait diversion pour les habitants du château tandis que l'autre amène un nouveau chiot dans le berceau, ôte le bébé et le met sur la rivière.

Le vieux trouve ce troisième enfant, se pose des questions mais l'amène à la maison en remerciant la destinée de lui apporter d'aussi beaux enfants qu'ils élèvent avec amour dans leur petit coin de paradis. Mais lorsque le Prince et sa femme rentrent de la fête. Celui-ci se met diablement en colère.

– Tu vas être punie. Tu es maudite ! 

Il demande à ses gardes de l'emmener dans le bois.

– Qu'elle vive en ermitage. Je ne veux plus la voir. Et qu'elle n'en sorte pas.

Ce qu'ils font. Elle promet de ne pas en sortir. Et le temps passe sur le temps.

__

Une douzaine d'année plus tard, les vieux sont morts, laissant les enfants s'élever par eux-mêmes, se faisant le jardin, allant parfois au marché vendre quelques légumes... Un dimanche, les deux garçons laissent leur sœur tout seul à la maison. Celle-ci aperçoit alors une femme en guenille au bord de la forêt. Tous ses vêtements étaient déchirés. Elle court la voir et lui demande d'où elle vient, si elle veut manger.

– Je vis en ermitage dans la forêt.

– Restez avec nous autres si vous voulez, nous pouvons vous accueillir. Nous avons un jardin et des vêtements.

– Non, je ne peux pas. J'ai fait une promesse

La fille lui emmène un peu à manger et elles discutent un moment. La jeune fille est fière de lui montrer comment ils se débrouillent et lui fait visiter le jardin.

– Oui, c'est vrai qu'il est très beau. Mais pour qu'il soit vraiment très très beau, il manque quelques petites choses. Enfin bon, elles sont plutôt rares alors c'est vrai que c'est un beau jardin.

La petite fille n'ose pas poser la question. Elle laisse la femme s'en aller. Et le soir raconte sa rencontre à ses frères.

– J'ai rencontré une dame aujourd'hui. Je ne sais pas si elle est âgée ou pas tellement elle vit pauvrement dans la forêt. Tout son linge était déchiré.

– Tu ne lui as pas proposé de rester avec nous ?

– Si mais elle n'a pas voulu. Elle a parlé d'une promesse. Et puis je lui ai montré le jardin qu'elle a trouvé beau même s'il manquait quelque chose

– Ah bon ? C'était quoi ?

– Je n'ai pas osé lui demander...

– Tu devrais. On ne nous a jamais parlé de ça avant…

La semaine passe lentement. Le dimanche suivant, les garçons s'en vont et la fille reste seule. En milieu de matinée, elle aperçoit à nouveau cette femme à l'orée du bois. Elle court vers elle, lui donne à manger. Puis, à un moment, ni tenant plus, elle lui demande :

– Venez voir notre jardin, dites mois ce qui nous manque...

– Ah... C'est l'eau qui bouille, l'arbre qui chante et l'oiseau qui dit toute la vérité. Quand vous aurez ça, vous aurez vraiment le plus beau jardin de la région.

Et puis s'en va. Le soir, quand ses frères rentrent, la jeune fille raconte ce que lui a dit la femme. La discussion est animée pour savoir ce que sont ces trésors naturels et où les trouver. Mais à un moment, l'aîné dit :

– Demain matin, je vais aller les chercher.

__

Le lendemain matin, avant de dire au revoir à ses frères et sœurs, il les amène devant un coin du jardin où il y a des fleurs :

– C'est moi qui les ai planté. Si elles sont vertes, je serai vaillant. Si elles sont secs, je serai mal ou mort. Comme cela, vous aurez des nouvelles de moi.

Il prend un poney et s'en va. Il traverse quelques montagnes où il lui arrive moult aventures et finit par arriver devant une maison. Un grand-père est assis sur un banc.

– Bonsoir mon garçon.

– Bonsoir grand-père. Vous ne sauriez pas où trouver l'eau qui bouille, l'arbre qui chante et l'oiseau de vérité.

– Ah ! Ce n'est pas loin d'ici. A peine plus d'un kilomètre, de l'autre côté de la barrière verte. Mais je ne crois pas que tu puisses y aller. Ça te fera peur. Il y a tout un tas de choses affreuses, des flammes, des coups de canons, des cris...

– Je vais y aller quand même. Je n'ai pas fait tout ce chemin pour rien.

– En tout cas, ne tourne pas la tête car sinon, tu tomberas en pierre de marbre et tu vas rester là.

– Merci grand-père.

Il saute sur son poney mais n'a pas fait quelques dizaines de mètres à travers ce champ miné que des cris attirent son attention, il tourne la tête et tombe en pierre de marbre au côté du chemin. Le lendemain, quand son frère et sa sœur regardent les fleurs, elles ont flétries et sont toutes sèches.

– Il est arrivé malheur, dit son petit frère. Je vais y aller.

Il saute à cheval et suit les pas de son frère si bien qu'il arrive à la même maison au bord du chemin.

– Bonsoir mon garçon.

– Bonsoir grand-père.

– Tu cherches l'eau qui bouille, l'arbre qui chante et l'oiseau de vérité, toi aussi ?

– Oui grand père.

– Ton frère est passé ici mais il est tombé en pierre de marbre.. Ce n'est pas loin. Mais je ne crois pas que tu puisses y aller. Ça te fera peur comme à lui.

– J'y vais pareil.

Il saute sur son cheval mais ne va pas beaucoup plus loin que son frère. La peur lui prend. Il vire la tête de côté et tombe en pierre de marbre.

Le lendemain, leur sœur voit les fleurs desséchées et se dit :

– Je ne vais pas vivre seule ici. Je pars.

Elle chevauche son poney blanc et s'en va. Quand elle voit le grand-père, elle le salue.

– Bonsoir grand-père.

– Bonsoir ma petite

– Je cherche l'eau qui bouille, l'arbre qui chante et l'oiseau de vérité. Vous ne sauriez pas où les trouver ?

– Si bien sûr mais il va t'arriver malheur comme à tes frères. C'est bien dangereux par là-bas. Je ne pense pas que tu peux passer. Ça cri, ça hurle, il y a des flammes et des canons...

– Vous auriez du coton et un bandeau à me prêter ?

– Oui.

– Vous pourriez m'aider à le nouer autour de mes yeux ?

Elle se fait des petits bouchons de coton dans les oreilles puis remonte sur son poney. Elle met le bandeau. Elle part. Elle entend bien au loin quelques sons sourd mais se concentre pour aller de l'avant. Elle n'a pas peur. A un moment, son poney s'arrête. Elle se débande les yeux. Ôte le coton de ses oreilles. Et aperçoit l'eau qui bouille, l'arbre qui chante et l'oiseau de vérité aux couleurs vives. C'était beau. Elle s'approche lentement et d'un geste vif saisit l'oiseau qu'elle met dans une poche. Elle prend de l'eau et une pousse de l'arbre. En s'en revenant, elle verse un peu d'eau sur ses frères qu'elle délivre. Ils rentrent chez eux tous les trois.

__

Une fois rentré, ils décident de faire une fête pour inaugurer le jardin avec l'eau qui bouille, l'arbre qui chante et l'oiseau de vérité. Tout le monde est attiré par ce jardin qui, paraît-il, est le plus beau de toute la région. Même le roi et ses fils se rendent à l'invitation.

Tout le monde se rend donc un dimanche pour voir le magnifique jardin dans lequel l'eau bouille, l'arbre chante avec le vent et l'oiseau aux couleurs chatoyantes passe de branche en branche. Chacun peut admirer ce jardin simple et magnifique.

Sauf qu'à un moment, l'oiseau se met à parler et à raconter :

– Il était une fois un roi qui avait trois fils. Le premier s'appelait le Boulanger, le second le Boucher et le troisième le Prince…

Le monde ébahi regarde l'oiseau et surtout écoute l'histoire contée par l'oiseau. Chacun comprend alors que ces trois enfants sont les petits-enfants du roi, que la femme en guenille qui a apparu au bord du bois est leur mère... et ses deux sœurs s'enfuient en courant avant qu'on les rattrape et qu'on les punisse.

Les enfants ont continué d'habiter dans leur maison auprès de leurs trésors mais pouvaient aller régulièrement dans le château voir le roi et leur famille retrouvée. On dit même qu'il leur est promis de l'embellir avec l'eau qui bouille, l'arbre qui chante et l'oiseau qui dit toute la vérité...

Télécharger le conte ici
Soulignement du bouton